DÉCOUVERTES AU FIL DES LECTURES

Dans son ouvrage: «Le Maréchal de Castries » (1979 Editions Albatros) le Duc de Castries, outre une amusante évocation d’Albi, fait état pages 106 et 107 d’une lettre de Lapérouse à Suffren écrite le 22 Septembre 1787 dans la baie d’Avastscha. La partie citée a pour objet l’approbation enthousiaste du «code Castries», nouvellement édicté, réorganisant la Marine.

Lapérouse qualifie Suffren de « Cher ami » et le tutoie. Or, le Bailli de Suffren a onze ans de plus et il est depuis longtemps dans un grade plus élevé. En outre ils ne se sont trouvés ensemble en opération que rarement (sous d’Estaing aux Antilles en 1779).
Je n’ai personnellement pas trouvé trace de cette lettre dans les compilations du centenaire et du bicentenaire et je n’ai pas le souvenir de l’avoir entendu citer ailleurs.

L’organisation de la Marine était un thème de réflexion de Lapérouse qui avait rédigé un mémoire à ce sujet (document non daté mais postérieur à 1764). Mais pourquoi écrire son approbation à Suffren et non au Maréchal de Castries, auquel il avait fort bien su s’adresser pour expliquer son mariage hors des règles et dont il se savait très apprécié? Il faut bien supposer que les deux navigateurs étaient en relation étroite. :

Dans son « SUFFREN de Saint Tropez aux Indes » (Editions Perrin 1991) Michel Bertrand nous fournit peut-être quelques éléments d’explication:

– d’une part il mentionne (p 172) la prise de l’Ariel par l’Amazone (Cdt Lapérouse), haut fait remarqué par toute l’escadre d’Amérique et donc par Suffren

– d’autre part il affirme que Suffren prend connaissance en 1781 des rapports rédigés par Lapérouse sur sa campagne des Indes de 1772-75; et qu’il y trouve des éléments précieux pour la campagne qu’il entame lui-même et qui le conduira à la gloire. Rentré en France, il a pu, en 1784-85, rencontrer Lapérouse et le féliciter sur la justesse de ses vues. Tenu en demi-disgrâce malgré ses succès et sa promotion au rang de Vice- Amiral, Suffren s’est certainement intéressé au voyage de découverte confié à Lapérouse et a pu rester en relation d’estime avec lui.

L’Amazone

Voici la teneur de cet extrait de lettre :

« J’ai lu, cher ami l’ordonnance nouvelle. Je te jure que je la trouve parfaite, et je voudrais que, comme à l’arche du Seigneur, il fût défendu par une loi d’y toucher au moins de deux siècles, après la première année où quelques lettres ministérielles en interprétation pourraient être nécessaires.
J’y ai trouvé des gardes de la Marine élevés pour être marins, des officiers qui n’ont à penser qu’à leur métier de mer et des directeurs à leurs occupations particulières, des troupes qui sont constituées pour servir utilement dans des vaisseaux, où on aura toujours assez d’infanterie quand nous n’aurons pas de guerre en Allemagne; enfin un centre d’unité qui est le commandant, ce qui assure l’exécution du plan, le seul bon, le seul vrai, le seul raisonnable.
Ce que j’ai tant désiré est enfin arrivé: une Marine commandante et une Marine auxiliaire dont on a eu soin de ménager les intérêts de manière à ne pas l’humilier et une éducation dure donnée à des jeunes gens qui les rendra peut-être un peu rustres mais jamais orgueilleux et ils en auront-plus de caractère.
Je voudrais avoir été élevé comme les nouveaux élèves dont on a bien fait de changer le nom car rien de l’ancienne école n’était bon à conserver. »

Pour ma part je suis un peu étonné de la référence excessive à « l’arche du Seigneur ». D’autant qu’on trouve généralement peu de références religieuses dans les écrits de Lapérouse, et, qu’en outre, lorsqu’ il aborde ce domaine, c’est plutôt à titre critique (voir son opinion sur le clergé du Chili ou son « horreur pour les prisons sacrées » à propos des couvents où l’on enfermait les jeunes filles remuantes).

En tout état de cause la connaissance de cette lettre parmi les dernières qu’a pu écrire Lapérouse est intéressante et il est émouvant de le voir se passionner pour l’organisation de la Marine alors qu’il a le souci de son expédition et qu’il est si loin de France dans l’espace et dans le temps.


M.GARDES Journal de Bord N°13

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