ADN et Généalogie au service d’une identification
Nous avons consacré nos deux précédents articles aux recherches d’identification du squelette retrouvé le 22 novembre 2003, dans la faille de Vanikoro. On se souvient qu’il gisait, enfoui dans un massif de corail, sur le navire La Boussole, commandé par Lapérouse. On peut lire avec grand intérêt une thèse présentée en 2007 par Coranie Lutton pour le diplôme d’État de docteur de chirurgie dentaire qui montre l’ampleur du travail réalisé sur le squelette.
Les examens pratiqués par l’IRCGN (Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale) parlent en faveur d’un homme de type caucasien d’un âge compris entre 29 et 40 ans, d’une taille entre 165 et 170 cm présentant une fracture ancienne de la diaphyse humérale gauche, et un léger prognathisme. Le squelette présente une musculature peu importante et une dentition remarquable ce qui exclut la possibilité qu’il s’agisse d’un marin. L’homme ne peut être qu’un scientifique d’un milieu social élevé qui connaissait les règles d’hygiène (il entretenait ses dents) et naviguant sur La Boussole. On peut retenir les candidats suivants : Duché de Vancy dessinateur, 32 ans (mais nous avons vu qu’il avait été renvoyé de La Boussole vers l’Astrolabe), Le Corre chirurgien, 29 ans, Rollin chirurgien, 37 ans, Mongez, entomologiste, minéralogiste, physicien, 36-37 ans, Lepaute Dagelet, astronome, 36 ans. Deux familles se mobilisent, celle de Lepaute Dagelet et celle de Mongez pour fournir des éléments concernant leur ancêtre.
Un premier élément de comparaison porte sur la morphologie faciale.
Le docteur Yves Schuliar, médecin légiste à l’IRCGN, interrogé par Alain Conan, examine les mesures du crâne du squelette et les portraits de Mongez (visage large tous les deux) et conclut qu’il n’y a pas d’incompatibilité mais rien de plus. Elizabeth Daynes, sculptrice, à qui on doit la reconstitution faciale répond de son côté « c’est vrai qu’il y a des ressemblances mais cela ne nous permet pas d’affirmer que c’est lui ». Le visage de Lepaute parait plus fin.
On est troublé de découvrir aussi que Mongez avait écrit pour son « Journal de Physique » dont il était le Directeur de publication (plus de 20 volumes) un article sur une machine pour réduire les fractures de jambes, laissant penser qu’il était directement concerné par la question.
Seule une comparaison ADN permettrait d’identifier l’inconnu.
De l’ADN mitochondrial (transmis uniquement par les femmes) a été extrait du fémur du squelette. Les deux familles Lepaute et Mongez s’attèlent alors à rechercher un descendant uniquement par les femmes qui porterait ce fameux ADN.
– Devant la difficulté à mener à bien ces investigations et après avoir envisagé une exhumation d’un descendant, la recherche concernant Lepaute a été volontairement abandonnée. Des témoignages considérés comme fantaisistes le considère comme le dernier survivant. Il aurait été aperçu dans plusieurs lieux après le naufrage et serait mort en 1794. Rien ne permet de leur accorder du crédit.
– Du côté de la famille Mongez, en 2006, Fabien Cler, président de l’Association Sine Dolo, encouragé par Alain Conan de l’association Salomon, établit un arbre généalogique très complet (plus de cinq cents descendants de la famille Mongez) et le soumet au Dr Cathala de l’Université de Montpellier afin de définir parmi eux, les porteurs de cet ADN. Etienne Beaumont, médecin légiste coordonne les recherches.
Mongez n’a pas de descendant et de toutes façons, étant de sexe masculin, il ne pouvait pas transmettre cet ADN à ses enfants. Fabien est donc parti de Anne, une sœur de l’Abbé Mongez et est descendu de femme en femme jusqu’à ce qu’un enfant de sexe masculin fasse abandonner cette piste. On arrive ainsi à Victor Diday, décédé à Grenoble en 1924. Restait à chercher un descendant de Victor qui aurait pu conserver un objet personnel lui ayant appartenu. Michel Brun, son arrière-petit-fils, est contacté. Il se souvient d’une vieille malle familiale contenant une enveloppe portant ce titre « poils de barbe de mon père chéri ». L’enveloppe retrouvée, Michel Laffont (alors secrétaire général de l’association Lapérouse Albi France et membre de l’association Salomon) se rend le 4 février 2006, au domicile de M. Brun, à Bizanos (Pyrénées Atlantiques) qui lui remet les poils de barbe qui sont ensuite transmis au professeur Eric Baccino puis au professeur Cathala qui doit en extraire de l’ADN mitochondrial pour le comparer avec celui du squelette.
Mais M. Cathala part à l’étranger et l’étude est confiée à un remplaçant. On apprend ensuite qu’«’il n’y a pas incompatibilité » entre l’ADN de Victor Diday et celui de l’inconnu mais que les poils ont été souillés par d’autres ADN.
Fabien Cler reprend sa recherche, et toujours à partir de Anne Mongez aboutit à Albert Delabeye né en 1892, porteur de l’ADN mitochondrial de Mongez. Albert laisse à sa mort, en 1981, son rasoir.
On est alors en 2014. Alain Conan et Fabien Cler ont rendez-vous, cette fois, avec le professeur Philippe Charlier, de Garches, médecin légiste, anatomo-pathologiste et paléopathologiste, connu pour ses identifications de personnages historiques célèbres. Ce premier contact donne espoir à Fabien et Alain que les analyses seront menées sérieusement.
Charlier demande à Etienne Beaumont de récupérer le compte rendu des analyses effectuées par le professeur Cathala ainsi que le morceau de fémur de l’inconnu et les polis de barbe restant de Victor Diday.
On trouve un poil de barbe mais ce qui intéresse davantage Philippe Charlier ce sont les cellules qu’elle peut contenir. Les analyses doivent être réalisées à Barcelone.
La conclusion est, comme pour l’analyse précédente « il n’y a pas d’incompatibilité avec Mongez ». Charlier rajoute : « si ce n’est pas Mongez, je vous le dirai ». Cela ne ferme donc pas définitivement la page Mongez car de telles recherches auraient pu conclure à une incompatibilité, ce n’est pas le cas.
Le rasoir est récupéré par Fabien Cler mais pas les débris de fémur ni les poils restants de la barbe de Victor Diday. Heureusement, il avait été demandé, par précaution, à Michel Brun d’en conserver la moitié.
Des recherches seraient encore possibles en exhumant des corps à Vénissieux (branche Delabeye et Veyron-Lacroix), à Grenoble (Marine Mongenet et sa mère née Perrard). Mais avant d’envisager un prélèvement d’ossement, des conditions doivent être remplies : les restes ne doivent pas être mélangés à d’autres corps ce qui se produit quand plusieurs personnes sont enterrées dans la même concession, en pleine terre. Cela suppose aussi des archives funéraires bien tenues pour obtenir cette information. Ensuite, avoir l’accord de descendants. Dans bon nombre de cas, la première condition est remplie. Pour la seconde, Sine Dolo se heurte à des difficultés juridiques ou administratives : accord des conservateurs, autorisation du Procureur.
Le squelette repose désormais à Brest
Après avoir été exposé au Musée de la Marine à Paris, le squelette est oublié, pendant plusieurs années, dans les réserves d’un grand musée parisien. L’historien brestois Alain Boulaire sensibilise alors les autorités pour qu’il ait une sépulture à Brest, port de départ de l’expédition.
Le Ministère de la Marine inhume donc le corps, le 29 juin 2011, dans l’enceinte de la Préfecture Maritime, avec les honneurs militaires, près du château-musée, sous une rose des vents, réalisée en plusieurs tons de granits, par le sculpteur Joël Kerhervé. Le cercueil contient du sable de Vanikoro et des perles de verroterie que transportait la Boussole, confiés par Alain Conan ainsi que la formule ADN du squelette. Depuis 2018, les visiteurs du Musée peuvent s’approcher de la tombe. « Ce marin inconnu représente tous les explorateurs partis de Brest pour découvrir notre monde et l’océan qu’on aime tant », déclare Alain Boulaire, le comparant au soldat inconnu qui repose sous l’Arc de Triomphe.
Restera-t-il inconnu ?
Un étonnant buste de Jean André Mongez tout récemment découvert par Fabien Cler dans la famille d’un descendant Ramener un squelette, conservé pendant plus de deux cents ans en milieu marin, est un évènement rarissime en archéologie marine et on imagine l’émotion des plongeurs devant un tel spectacle aussi inattendu. Cette découverte est, pour Alain Conan, après celle des deux navires, comme un aboutissement et une sorte de récompense après trente-cinq ans de recherche. Il a su fédérer autour de lui toute une équipe de passionnés et a bravé tous les freins administratifs ou financiers. Un grand merci doit lui être rendu ainsi qu’aux personnes citées dans cet article et tous ceux qui ont participé aux recherches sur le site de Vanikoro. Merci aussi à l’émission Thalassa et Georges Pernoud qui nous ont laissé de magnifiques images.
La présence du squelette à Brest, port de départ de Lapérouse est un symbole. Sa stèle représente la mémoire de cette expédition, chère à Louis XVI, et celle de ces marins et savants partis pour une folle épopée à la fois humanitaire et scientifique, bravant les océans dans des conditions extrêmes mais dont l’aboutissement est ce naufrage dramatique.
La dernière implication de Alain Conan avant sa tragique disparition, menée avec toujours autant de passion, a été la recherche de l’identité du squelette. Sa conviction personnelle, au vu des nombreux indices, était qu’il s’agissait de Mongez.
La science fait régulièrement des progrès en matière d’ADN. Peut-être un jour connaitrons-nous son identité. Sa magnifique sépulture restera l’hommage aux marins disparus.
Anne Marie GUILLOT
Membre du CA de l’ALAF
Secrétaire de l’association Sine Dolo
Professeur Université de Bordeaux
Arbre généalogique de la famille Mongez consultable sur Généanet, à l’identifiant amguillot