Nous avions évoqué précédemment, la surprenante découverte d’un squelette admirablement conservé plus de 200 ans après le naufrage de La Boussole dans la faille de Vanikoro. Les objets trouvés à proximité constituent autant d’indices propres à l’identifier d’autant que des prérequis réduisent les candidats potentiels aux scientifiques embarqués sur La Boussole excluant de fait ceux de l’Astrolabe.
Les caractéristiques du squelette éloignées de celles d’un marin
Le squelette est celui d’un homme âgé de 30 à 35 ans au moment du naufrage en 1788 (avec une incertitude de 5 à 6 années) mesurant 1,68 mètre, avec une incertitude de 4 centimètres. Il possède une bonne dentition, ce qui exclut les marins, et a été victime dans l’enfance ou l’adolescence d’une fracture de l’humérus gauche et de la clavicule droite. Il présente par ailleurs une fracture du péroné survenue avant ou après le décès. Enfin on note un léger prognathisme1 .
1 – Prognathisme : la mâchoire inférieure est en avant par rapport à la mâchoire supérieure
Indices trouvés à proximité du squelette (voir article précédent ici)
Deux groupes d’objets ont été trouvés près du squelette : d’une part des objets religieux susceptibles d’être rattachés à l’abbé Mongez, aumônier et minéralogiste (crucifix, vaisselle aux armes ecclésiastiques de l’Ordre de St Geneviève auquel appartient l’abbé, etc. ) et d’autre part des objets scientifiques (lunette astronomique, quart de cercle ) appartenant selon toute vraisemblance à Lepaute Dagelet, astronome. Pour l’association Salomon, ces objets ont bel et bien appartenu à l’inconnu de Vanikoro : « Autrefois, l’Association pensait que La Boussole avait explosé sous la violence du choc, mélangeant les objets. Elle penche plutôt maintenant pour la version d’une épave ordonnée : le navire s’étant encastré par l’arrière, l’avant s’étant répandu sur le tombant du récif, mais les parois de la faille que l’on a désormais atteintes sont les flancs encastrés de la frégate.»
Les scientifiques écartés de l’analyse
1- Louis Monge, né en 1748, mathématicien, frère de Gaspard, est écarté car il n’est plus membre de l’expédition au moment du naufrage. Trente jours à peine après le départ de Brest, il est débarqué à Madère en raison d’un fort mal de mer.
2- Gaspard Duché de Vancy, dessinateur de l’expédition, a un temps retenu l’attention : il a 32 ans, ce n’est pas un marin et certains ont pu soutenir que la légère abrasion des dents du squelette pouvait être due au masticage d’un crayon. Mais, en 2003, est mise en vente une lettre du 27 septembre 1787, de Paul-Antoine Fleuriot de Langle, commandant de l’Astrolabe, adressée à Louis Monge. Ce courrier nous apprend que le dessinateur a quitté la Boussole pour l’Astrolabe. «Lapérouse m’a fait présent de M. Duché, qui est un sujet détestable ; il est heureusement trop maussade pour altérer la bonne intelligence qui règne à bord de l’Astrolabe où on ne le voit pas venir avec plaisir… ».
Si Duché de Vancy ne se trouve plus sur la Boussole, il n’est plus un candidat possible. Vendue aux enchères à Drouot le 6 février 2003, la lettre est achetée par la ville d’Albi pour 4 295,34€. « Il suffit parfois de quelques mots sur une vieille lettre pour mettre à bas le travail des scientifiques. C’est le propre de la recherche » s’enthousiasme Mathieu Desachy, conservateur de la médiathèque, pour le journal La Dépêche.
3– Joseph Le Corre, né en 1759, est embarqué comme second chirurgien puis est nommé chirurgien major quand Claude Nicolas Rollin est débarqué à Macao. Il a 29 ans en 1788 ce qui semble être trop jeune.
Deux scientifiques restent en lice
1– Joseph Lepaute Dagelet naît le 25 novembre 1751, et a 37 ans au moment du naufrage ; âge très proche de celui estimé du squelette. Neveu des horlogers du roi, il est professeur de mathématiques à l’Ecole Militaire en 1777. Son observation des planètes et des étoiles est remarquable, ainsi que son calcul d’un grand nombre d’éclipses de Soleil et son travail sur la théorie de Vénus. Lapérouse l’embarque sur La Boussole comme astronome malgré sa santé délicate. Les objets de navigation près du squelette lui appartiennent vraisemblablement.
2– Jean-André Mongez, né à Lyon le 21 novembre 1750, a 38 ans au moment du naufrage. Chanoine de Ste Geneviève (devenue Le Panthéon), il vient d’une famille d’érudits lyonnais. Il est le neveu du célèbre abbé Rozier, auteur du Cours Complet d’Agriculture. Il est directeur du Journal de Physique dans lequel écrivent les grands savants de l’époque. Il est physicien mais c’est en ses qualités de minéralogiste qu’il est embarqué par Lapérouse. On le décrit comme un homme sportif, n’hésitant pas à escalader collines et volcans à chaque escale. De nombreux objets religieux lui appartenant entourent le squelette. La bibliothèque de Lyon détient les portraits de face et de profil de Mongez, reproduits ci-dessous.
Dans le portrait de face, on distingue un léger prognathisme souligné ici dans cet agrandissement. Le visage est large.
Dans celui de profil, on note une anomalie : le dessinateur semble avoir corrigé un prognathisme jugé sans doute inesthétique, en balançant la mâchoire inférieure en arrière. Ce faisant, elle est exagérément rétrécie : les dents sont dans l’impossibilité de trouver leur place ! Et Mongez n’a plus le visage large comme son portrait de face.
Sculpture de l’inconnu par Elizabeth Daynes à partir des travaux de l’IRCGN (Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale)
Le visage du squelette reconstitué par Elizabeth Daynes qui ne disposait alors pas, il faut le souligner, des portraits de la bibliothèque de Lyon, illustre également le prognathisme observé.
Il existe un autre détail troublant : Mongez a publié dans son Journal de Physique une étude sur un appareil destiné à réduire les fractures des jambes d’Albert Pieropan, prouvant ainsi qu’il était concerné par le sujet. Aurait-il eu de son vivant une fracture du péroné comme l’inconnu de la faille ?
Les indices relevés dans la faille ont ainsi permis, sous les réserves d’usage, de réduire à une poignée le nombre d’individus susceptibles de se dissimuler derrière l’inconnu de Vanikoro.
A ce stade, on peut se perdre en conjectures de toutes sortes. Seule une comparaison de l’ADN mitochondrial2 du squelette avec celui des membres de sa famille pourra avec certitude nous donner son identité.
2 – ADN mitochondrial : ADN transmis par la mère
Des recherches ont été faites. Quels résultats en attendre ?
A suivre…
Anne-Marie Guillot,
Membre du CA de l’ALAF